vendredi 29 avril 2011

"Si tu savais comment je me suis fait sortir !"


L'action se passe un vendredi soir (à moins que ce soit un samedi), au casino de Namur, ou de Spa, ou de Foufnies-lez-berdouilles ... en fait peu importe.

L'homme vient de se lever de table, ses jetons, partis vers le milieu de la table, ne sont pas revenus vers lui mais partis vers un autre homme qui semble ne pas en croire ses yeux. Notre homme quand à lui semble avoir vieilli d'un coup. Il ressemble à un boxeur qui vient de se prendre une patate par surprise. D'abord surpris, puis groggy, puis décontenancé, désorienté.

Puis c'est l'amertume, le goût de fer dans la bouche, alors que monte en lui cette envie irrépressible d'expliquer, de raconter ... Ses yeux se tournent vers le bar à la recherche d'une victime à l'épaule accueillante.

- "Alors t'es out ?" s'exclame le propriétaire de l'épaule convoitée.

Il n'aurait sans doute pas dû dire ça !

Nous avons tous vécu ce moment où un pote, une vague connaissance et même parfois un illustre inconnu nous choisit comme témoin de l'injustice du Destin ou de l'imbécilité de son bourreau du jour. Il nous raconte par le menu le coup tel qu'il s'est joué (souvent il dit vrai mais pas toujours !), nous détaille le pourquoi du comment et cette incroyable malmoule qui fait qu'il est là, en train d'ankyloser notre épaule, et non à table en train de finir de détrousser ce si pathétique adversaire.
Au fond de lui, il sait que si nous sommes là, au bar, c'est que nous aussi avons eu notre moment de cruauté du Grand Architecte Pokérien. Mais pas de doute, sa peine est plus grande que la nôtre, son bad beat est plus horrible que le nôtre, son talent .....

Neuf fois sur dix, "Epaules Compatissantes" ou un de ses voisins va répondre en racontant à son tour comment il s'est fait sortir, aujourd'hui ou lors d'un autre tournoi. Son histoire doit être bien plus injuste et terrible. C'est la règle des perdants et de leur égo blessé : il faut être le meilleur même dans la défaite.

Surtout dans la défaite !

Le problème c'est que lors d'un tournoi où participent 200 joueurs, il y a 199 perdants potentiels et qu'ils sont presque tous au bar.

Ca en fait des épaules malmenées .....

Bande de faux culs que nous sommes ! Dans la plupart des cas, nous n'en avons strictement rien à faire de ces histoires de bad beats. Ce n'est pas que le joueur de poker est une âme froide ou un mauvais camarade, c'est juste que c'est dans la nature du hasard (et donc du poker de court terme) d'être, euh ... comment dire ... hasardeux ?
Du coup, ces chasseurs d'épaule sont tellement nombreux que si on les laisse faire, la tendinite claviculaire pourrait devenir une maladie professionnelle des joueurs live !

Allez, avouez ! Parfois c'est vous le bad beaté du soir, le malchanceux de service, le marqué du destin, le souffre-douleur des croupiers ! Et c'est parce qu'il y a toujours bien un joueur "qui s'y colle" et accepte de 's'user l'épaule' pour vous que lorsque c'est votre tour de voir arriver un "accidenté de la river", vous prenez un air inspiré et l'écoutez calmement vous débiter son passage aux enfers avant de lui répondre avec une fausse humanité et un vrai talent d'acteur : "ouais, affreux ça, ... tu bois quelque chose ?"

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